C’est vers quinze ans que je découvre l’œil comme étonnant vecteur d’humanité et commence à m’intéresser au « Visuel ».
« Aiguisés ou acerbes les regards nous scrutent et nous scrutons le monde »
La photo, sa physique et son alchimie, sa fonction d’observation et d’historicité, tout m’attirait dans ce médium. Mais j’ai avant tout compris qu’il s’agissait d’un outil de vie qui m’aiderait à forger et forcer mon regard, pour être une voyeuse attentive à mon époque.
Les représentations du monde que nous nous forgeons passent beaucoup par l’oeil. Son effet est plus immédiat, plus intuitif, plus émotionnel, plus direct, que le texte ou même la parole qui impliquent déjà un lourd héritage culturel. En cela le Visuel, l’expression humaine par le visuel, l’art, les arts, les artisanats, à une dimension universelle, bien qu’une partie de la population soit dépourvu ou désavantagé de ce sens.
Ainsi, avant mes 20 ans, j’avais choisit les arts visuels comme fils rouge de ma vie, comme un repère, un objet de recherches, une quête esthétique et techniques. La photo en était le principal moteur, mais tres vite j’ai compris pour moi la nécessité d’entrer et de jouer avec la matiére.
C’est comme ça que je m’encre dans cette approche de vie pour observer, défier, scruter, ce spectre du visuel, en perpétuelle évolution, et de mettre mon grain de sel dans cet amas d’images. Bien sur je ne peux que rencontrer un nombre limité des possibilités offerte par les techniques du Visuel, mais c’est à la fois la curiosité et la sérendipité qui construisent mon itinéraire. Le visuel comme une boite à outils, des pour agir et lutter, pour et comprendre et exprimer, des interrogations, des paradigmes, des paradoxes. Le visuel et ses techniques sont mes outils de prédilection, sans pour autant s’y limiter totalement.
Telle un fidèle ange gardien, l’appareil photo m’a accompagné au périple de ma vie et de mes rencontres. Mais plus qu’une fin en soit, la prise de vue est une éthique, une magie, une histoire, un réel éternellement figé. Une trace, un témoignage, un instant furtif, un visage pris à pic, saisir l’instant via la lentille, a une dimension narrative et sociale.
Pour apprendre à ce décentrer, à changer de point de vue, pour approcher l’altérité, pour voyager à l’autre bout de la rue, ou au bout du monde, la photo, argentique puis numérique, ont été mon école.
Fin des années 80, début des années 90, j ai été témoin et utilisatrice des nouvelles techniques de traitement d’image, la transition numérique avec premiers logiciels d’adobe, les logiciels de DAO,
j’avais déjà l’intuition, en tant que photographe, que cette révolution numérique permettrait la diffusion plus large et la production plus vaste d’images, mais changerait radicalement notre perception de la Photographie. La généralisation de numérisation a permis un passage plus simple vers l’abstraction du virtuel, popularisé les filtres, accéléré la diffusion, pour se mettre au service de la communication, et du marketing, du monde digital. Mais il n’était pas encore temps pour moi, à cette époque, de rentrer dans l’arène de la publicité, et même si je m’immerge très tôt dans les vagues du web, je n’en fais pas encore métier, et continue ma quête de connaissances et d’apprentissage.
Si la photo avait été aussi utile à la construction de mon œil, elle pouvait être tout aussi utile comme médium d’accompagnement et de documentation d’autres arts et techniques que je m’apprêtais à rencontrer et à pratiquer.
Je savais qu’étant à cheval sur deux époques et deux conceptions de la photographie, celle ci perdait sa dimension, d’être une « fin en soit » pour la plupart des pratiquants, et que le regard de la photographe devait apprendre à s’incarner également en regard de peintre, d’artisane, de plasticienne, d’historienne, de sociologue et pourquoi pas de philosophe ou de psychologue. Les traitements d’images étant facilités, la photo comme médium, perdait en autonomie, mais devenait un outil indispensable aux autres arts et commerce de l’image et de la parole.